Les halophytes, ces plantes rares qui vivent en milieu salin, font l’objet de toutes les attentions du laboratoire Géoarchitecture qui a su les valoriser à travers Abycean, une start-up capable de les cultiver au champ
Elles semblent mener une vie difficile : les halophytes vivent dans des environnements riches en sels minéraux. Vous en connaissez certaines. En France, il s’agit de la salicorne, de la criste marine, du chou maritime, de l’immortelle de dunes, du chardon bleu, ou encore de l’aster maritime.
Le laboratoire Géoarchitecture de l’Université de Bretagne Occidentale étudie ces halophytes depuis 2006, en partenariat avec plusieurs autres équipes universitaires, dont le Centre de Biotechnologie de Borj Cédria (CBBC) en Tunisie. En Afrique, ces plantes poussent non seulement sur le littoral, mais aussi à l’intérieur des terres, toujours dans des milieux extrêmes.
« Non seulement nous travaillons à comprendre les mécanismes de tolérance de ces plantes aux sels minéraux et à la sécheresse, mais aussi leur composition », explique Christian Magné, professeur en physiologie végétale à l’Université de Bretagne Occidentale.
L’attention des chercheurs s’est rapidement concentrée sur Limonium vulgare, communément appelé lavande de mer.
« Au début des années 2010, nous avons eu la surprise d’y trouver une teneur anormalement élevée d’une enzyme : la superoxyde dismuthase (SOD) », raconte le chercheur.
Les enzymes sont des protéines ayant des fonctions particulières, dont celle de piéger les radicaux libres. Il s’agit d’atomes ou de molécules plutôt agressifs qui se développent dans notre corps lorsque nous vieillissons ou subissons des stress divers tels que la pollution.
« A cette époque, comprenant l’intérêt que pourraient avoir ces plantes de Limonium en tant que source de l’enzyme, j’ai commencé à en parler au service de la valorisation de la recherche. Celui-ci m’a conseillé de ne pas écrire tout de suite d’article, mais d’abord de déposer une demande de brevet. Nous n’avions pas cette culture de la valorisation à l’époque. Il faut ajouter que la seule source de SOD actuellement commercialisée en tant que complément alimentaire est le melon, or l’activité de l’enzyme dans la lavande de mer est près de 10 fois supérieure, ce qui confirme l’intérêt de cette découverte scientifique. »
Des champs d’halophytes
En 2015, un brevet a donc été déposé, portant sur le procédé d’extraction de la SOD. « Entre-temps, nous avions constaté que cette enzyme était présente chez toutes les plantes de la famille des Plombaginacées. La SATT a pris le relais et a établi des contacts avec différentes entreprises en vue de concéder une licence d’exploitation sur le sujet. » Cette découverte coïncidait en effet avec une demande croissante de produits de santé naturels par les consommateurs.
La création de la start-up Abycean à Plouzané, dirigée par Yves Bleunven, a suivi.
« L’un des grands défis résidait dans la rareté de ces plantes », explique Christian Magné. « Il était bien sûr hors de question de les arracher de leur milieu protégé. Il nous fallait les cultiver. Nous avons alors développé au laboratoire un nouvel axe de recherche en tentant d’optimiser la culture de ces plantes. D’abord in vitro, puis en chambre de culture et enfin au champ. Nous avons ainsi montré que ces plantes se développent très bien au champ, même en l’absence de fortes contraintes salines. »
Les halophytes se développent même mieux sans sel, ce qui suggère que le sel constitue un frein à leur croissance, comme pour toutes les autres plantes.
Une question subsiste : les plantes cultivées présentent-elles la même composition et les mêmes activités que leurs homologues sauvages de bord de mer ? « Leur activité est en effet moins forte », admet Christian Magné. « Cependant, malgré une réduction d’activité d’environ 20% par rapport aux plantes sauvages, leur biomasse est multipliée par deux ou trois lorsqu’elles sont cultivées, ce qui rend leur culture tout de même très intéressante. »
Abycean exploite actuellement 4 espèces différentes dans 4 serres. « Il est amusant de voir des plantes, habituellement dispersées sur les rochers, le sable ou dans la vase, pousser en quantité importante et alignées en rang », observe le chercheur.
Les clients de la start-up incluent des restaurateurs et des entreprises cosmétiques.
Pendant ce temps, le laboratoire poursuit ses recherches et a récemment déposé de nouvelles demandes de brevets concernant d’autres halophytes, qui pourraient avoir des applications en alimentation animale.
Quel accompagnement de la part de la SATT Ouest Valorisation et autres acteurs de l'innovation ?
« J’ai toujours eu des contacts avec la SATT depuis sa création en 2012. Lorsque j’ai des résultats intéressants qui peuvent être exploités et valorisés par une entreprise, je fais appel à la SATT qui recherche des entreprises pour les mettre en contact avec moi », conclut le chercheur.