IA ET PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE - Ouest Valorisation

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IA ET PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

TIC & sciences de l'ingénieur

L’IA désigne, selon le Parlement Européen, la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. Au cœur de cette faculté se trouve l’apprentissage automatique fondé sur des exemples d’entrées (input) et de résultats attendus (output) qui permettent à un système de s’améliorer en permanence et de prendre des décisions sans avoir, pour ce faire, à être programmé étape par étape. Autrement dit, les systèmes d’IA sont des machines capables de progresser dans la réalisation de tâches habituellement exécutées par l’homme, avec peu ou pas d’intervention de ce dernier.

Du point de vue de la propriété intellectuelle, les systèmes d’IA posent donc plusieurs questions :

  • Ces systèmes sont-ils en tant que tels protégés / protégeables par le droit de la propriété intellectuelle ?
  • Les données qu’ils utilisent pour générer des résultats créatifs se heurtent-elles au droit de la propriété intellectuelle ?
  • Les créations résultant de l’IA sont-t-elles protégées/ protégeables au titre de la propriété intellectuelle ?

 

LA PROTECTION DES SYSTÈMES D’IA PAR LE DROIT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Dans la majorité des cas, l’IA est constituée d’un algorithme d’apprentissage incorporé dans un système informatique et/ou logiciel qui est ensuite entrainé sur des données dites d’entrainement. Cet entraînement permet la création d’un modèle mathématique dit d’inférence (raisonnement logique par induction). Une fois entraîné et testé sur des données dites de validation, le système pourra remplir la fonction qui est la sienne sans recourir à l’intervention humaine: faire fonctionner un robot, reconnaître un visage, opérer une traduction automatique, piloter automatiquement une voiture, etc. Les différents éléments composants de ce système complexe qu’est l’IA ne sont pas tous protégés par le droit de la propriété intellectuelle :

Le logiciel : la protection des logiciels d’IA par le droit d’auteur logiciel et ce du simple fait de leur création ne semble pas poser de difficulté, sauf à démontrer que ces derniers ne remplissent pas le critère d’originalité imposé par le droit d’auteur.

Les algorithmes et modèles mathématiques : les algorithmes d’apprentissage ou encore les modèles mathématiques d’inférence sont dans la majorité des cas expressément exclus de la protection par le droit de la propriété intellectuelle. Cette issue n’est pas spécifique aux IA et reste communément admise en matière d’algorithmes et modèles mathématiques. Le secret reste une bonne alternative pour protéger/privatiser activement ces éléments.

Les données:  les données d’apprentissage (d’entrainement et/ou de validation) pourraient bénéficier de la protection par le droit sui generis des bases de données ainsi que par le droit d’auteur mais selon des critères classiquement très exigeants : la structure d’une base de données peut éventuellement être protégée par le droit d’auteur sous réserve de son originalité ce qui n’est pas chose aisée ; le contenu d’une base de données peut, quant à lui, être protégé par le droit sui generis à condition de prouver que l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu de ladite base de données a nécessité un investissement substantiel (financier, matériel et/ou humain) de la part de son producteur : ici aussi la probabilité de réalisation de ces conditions reste mince, notamment si c’est l’IA elle-même qui produit la base de données.

Si un système d’IA peut en partie être protégé par le droit de la propriété intellectuelle, le recours à des jeux de données pose surtout la question de la réutilisation de données préexistantes notamment lorsqu’elles celles-ci revêtent un caractère personnel (cf. article IA, mise en conformité et protection des données)  ou sont protégées au titre de la propriété intellectuelle.

 

L’UTILISATION PAR L’IA DE DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE PRÉEXISTANTS 

La création de contenu par l’IA repose sur des données d’entrainement qui sont, soit intégrées par le créateur ou utilisateur de l’IA (apprentissage supervisé) ou trouvées / rassemblées automatiquement par l’IA elle-même (apprentissage non supervisé) : ce sont les données d’input.

Ces données d’input sont utilisées par l’IA comme base d’inspiration pour créer des données de résultats qui seront générées et exploitées par le système d’IA: ce sont les données d’output.

Or si l’input est protégé par des droits de propriété intellectuelle et que l’output généré par l’IA reproduit tout ou partie de ces droits, les contenus produits par l’IA ne peuvent être exploités sans l’autorisation préalable des titulaires des droits sur l’input.

Qu’il s’agisse de réutilisation de droits d’auteur ou de copies de titres de propriété industrielle tels que les Brevets, Marques ou Dessins et Modèles, le recours, par l’IA à ces sources d’inspiration pour produire un résultat, entraine un risque non négligeable de contrefaçon, notamment lorsque ce résultat a vocation à être exploité commercialement. Mais avec la masse de données utilisée par les IA, c’est la question de la transparence de cette réutilisation qui est posée : l’IA Act a tenté de répondre à cette problématique.

L’IA Act, notamment dans ses considérants 105 à 109, est venu préciser la Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 en instaurant un certain nombre d’obligations sur les fournisseurs de modèles d’IA à usage général. En effet, pour tenir compte des évolutions grandissantes dans le numérique, la directive (UE) 2019/790 avait d’abord introduit un certain nombre de principes nouveaux tels que :

  • La responsabilisation des plateformes de partage ;
  •  La création d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs de publications et agences de presse ;
  •  La mise en place de nouvelles exceptions au droit d’auteur, telles que le droit de fouille automatique de textes et de données ou TDM (text and data mining) notamment pour les chercheurs  ;
  •  L’amélioration de l’accès aux œuvres et de l’octroi de licences ;

Pour un décryptage détaillé de cette directive de « toutel’europe.eu », cliquez-ici 

Avec l’IA Act, le Parlement Européen rappelle que :

  • « les fournisseurs de modèles d’IA à usage général devraient mettre en place une politique visant à respecter le droit de l’Union en matière de droit d’auteur et de droits voisins, en particulier pour identifier et respecter la réserve de droits exprimée par les titulaires de droits conformément à l’article 4, paragraphe 3, de la directive (UE) 2019/790 »
  • « afin d’accroître la transparence sur les données utilisées pour le pré-entraînement et l’entraînement des modèles d’IA à usage général, y compris les textes et les données protégées par le droit d’auteur, il convient que les fournisseurs de ces modèles établissent et mettent à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour l’entraînement du modèle d’IA à usage général»
  • « l’Office AI devrait contrôler si le fournisseur a rempli ces obligations sans vérifier ou procéder à une évaluation œuvre par œuvre des données de formation en termes de respect du droit d’auteur. »
  • « Le respect des obligations applicables aux fournisseurs de modèles d’IA à usage général devrait être adapté et proportionné au type de fournisseur de modèles, ce qui exclut la nécessité d’une mise en conformité pour les personnes qui développent ou utilisent des modèles à des fins non professionnelles ou de recherche scientifique, qui devraient néanmoins être encouragés à se conformer volontairement à ces exigences.»

 

LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE GÉNÉRÉE GRÂCE À L’IA OU PAR L’IA ELLE-MÊME

Les œuvres et inventions qui remplissent les conditions requises sont protégées par les cadres de propriété intellectuelle existants, à savoir : les brevets, le droit d’auteur, les dessins et modèles industriels, et les secrets d’affaires. C’est bien l’intervention humaine, au centre du processus créatif, qui régit le droit de la propriété intellectuelle à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Mais une fois de plus, l’IA a devancé les cadres législatifs/règlementaires en vigueur pour susciter le débat :

  • L’IA peut-elle être considérée comme un inventeur ou un créateur au sens des cadres de propriété intellectuelle existants ?
  • Quelle est la frontière entre la création qui est le fruit de l’intelligence humaine et celle qui résulte de l’IA ?

L’OMPI mène un Dialogue sur la propriété intellectuelle et l’intelligence artificielle réunissant des États membres et d’autres parties prenantes pour discuter de l’incidence de l’intelligence artificielle sur les politiques en matière de propriété intellectuelle.

Dans le débat actuel on peut distinguer plusieurs hypothèses :

  • L’Œuvre/invention créée par un humain avec assistance de l’IA

Si l’IA est utilisée par un humain comme simple outil pour créer une œuvre, l’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre. C’est le cas, par exemple, d’un musicien qui utilise un logiciel de composition musicale assisté par IA pour créer une pièce musicale. Pour la protection par le droit d’auteur, la paternité de l’œuvre ne fera aucun doute et il restera à prouver que l’œuvre est originale.

  • L’Œuvre/ invention créée par une IA de manière autonome

Les exemples de créations autonomes d’œuvres et inventions par l’IA se font de plus en plus nombreux, remettant ainsi en cause le principe selon lequel seul un humain peut être auteur ou inventeur. À partir de là, qui est propriétaire du résultat obtenu grâce à l’IA ? La personne ayant fait la requête ? Le programmateur à l’origine de la capacité de l’IA à apprendre ? La société ayant mis en place l’IA ? Ces questions ne sont pas tranchées : en France, les droits de propriété intellectuelle ne sont reconnus qu’aux personnes juridiques, physiques (les particuliers) ou morales (les entreprises notamment). Par conséquent, en l’état actuel du droit, une IA ne peut pas être titulaire de droits de propriété intellectuelle tout simplement car elle n’a pas de personnalité juridique. En revanche, la question reste entière en ce qui concerne le fournisseur de l’IA. Peut-il se prévaloir d’une invention obtenue par son IA ?

L’OMPI cite en droits d’auteurs :

– le projet baptisé “The Next Rembrandt”, qui consiste à produire des tableaux entièrement nouveaux en prenant le même sujet que l’artiste et en imitant son style,

– le “portrait d’Edmond de Belamy”, qui fait partie d’une série de portraits d’une famille fictive créés au moyen de l’intelligence artificielle,

– Emily Howell et Bot Dylan, des programmes informatiques capables de composer de la musique,

– le roman issu de l’intelligence artificielle qui a été publié sous le titre “Le jour où un ordinateur écrira un roman”.

De même, l’OMPI cite deux demandes de brevet déposées pour des inventions produites par des systèmes d’intelligence artificielle, l’une pour une nouvelle sorte de contenant pour boissons élaboré grâce à la géométrie fractale, et l’autre pour un dispositif de signalement qui pourrait se révéler utile dans les opérations de recherche et de secours.

Il est important de se renseigner sur les implications juridiques de l’utilisation de l’IA avant de créer ou de diffuser des œuvres créées à l’aide de l’IA. Il est également important de conserver la documentation relative au processus de création de l’œuvre afin de pouvoir prouver, le cas échéant, la contribution de l’humain à la création de l’œuvre.

  • L’œuvre/invention créée conjointement par une IA et un humain

Les situations ne sont souvent pas triviales et peuvent cacher des hypothèses dans lesquelles le processus de création est issue d’une intervention conjointe de l’humain et de l’IA, suscitant encore davantage de débat dans l’octroi des droits de propriété intellectuelle: qui sont les auteurs/ inventeurs ? qui sont leurs ayants-droits ? une propriété conjointe est-elle envisageable avec le fournisseur d’IA ?

 

Force est de constater que le débat actuel n’est pas résolu et que le législateur devra s’adapter à cette nouvelle donne, l’IA Act n’ayant pas traité ces questions. Dans l’attente des évolutions législatives et des positions jurisprudentielles, il convient de suivre quelques recommandations avant d’utiliser l’IA dans un cadre créatif et notamment dans le cadre de la recherche scientifique :

  • Conserver la documentation relative au processus de création afin de pouvoir prouver, le cas échéant, la contribution humaine ;
  • Vérifier la politique d’utilisation de l’IA et ses implications juridiques avant d’y avoir recours, notamment en ce qui concerne l’utilisation des données d’entrainements notamment lorsque celles-ci sont protégées par le droit de la propriété intellectuelle.

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