L’Institut des sciences chimiques de Rennes, en partenariat avec l’entreprise Umicore, explore les électrolytes solides et les électrodes denses pour concevoir des batteries innovantes, performantes et sécurisées.
Qui dit liquide dit risque de fuite : c’est bien l’un des soucis des batteries actuelles, fabriquées à partir d’électrolytes liquides, pouvant parfois conduire jusqu’à l’explosion d’un téléphone portable ou d’une voiture. Laurent Calvez, professeur des universités, et des chercheurs de l’équipe Verres et Céramiques au sein de l’Institut des sciences chimiques de Rennes tentent d’y pallier. Pour cela, ils ont orienté leurs travaux vers les batteries tout-solide, accompagnés par un partenaire de taille : Umicore, un groupe international belge, spécialisé dans la technologie des matériaux.
Les batteries : principe de fonctionnement
Les batteries sont des appareils qui accumulent de l’énergie sous forme chimique et la convertissent en énergie électrique. Elles sont pour cela composées de deux électrodes (cathode et anode) où se produisent les réactions chimiques d’oxydation et de réduction. Ces électrodes sont placées dans un électrolyte faisant office de conducteur. La performance d’une batterie se mesure notamment à sa densité énergétique, qui correspond à la quantité d’énergie pouvant être stockée et restituée lors du fonctionnement de l’équipement.
L’équipe, fine connaisseuse des matériaux chalcogènes, travaillait déjà avec la multinationale dans le domaine de l’optique infrarouge. « Il y a quelques années, l’une de nos anciennes doctorantes, embauchée par Umicore et connaissant notre savoir-faire, a eu l’idée de nous contacter pour travailler sur des batteries innovantes », entame Laurent Calvez. Un premier contrat d’alternance a ainsi débouché naturellement sur un contrat de collaboration en 2021 entre le laboratoire et Umicore.
Les batteries tout-solide pourraient révolutionner le secteur. Conjointement avec David Le Coq, professeur des universités, et épaulé par deux doctorantes, Hanane El Marsi et Maëlle Marchand-Nowack, soutenu en équipement et fonctionnement, Laurent Calvez espère que « les véhicules de demain fonctionneront avec [leurs] matériaux. »
D’une part, les chercheurs se concentrent sur les électrolytes solides à base de lithium et de soufre, éliminant ainsi les risques liés aux électrolytes liquides, tout en garantissant des performances supérieures. D’autre part, ils travaillent sur des cathodes à base de matériaux chalcogènes. « Ils sont beaucoup plus intéressants que les matériaux d’oxyde des batteries classiques », analyse le chercheur. « Ils permettent de stocker des quantités d’énergie bien plus élevées (on parle d’électrode « dense », NDLR). Leur principal défaut est que ces matériaux se détériorent à l’air libre, nous sommes donc obligés de travailler sous atmosphère inerte. Ce n’est pas important en soi, car les électrodes sont encapsulées à l’intérieur des batteries, mais cela nous donne des contraintes de manipulation ».
Un empilement de couches de quelques centaines de microns
Pour caractériser les propriétés des matériaux, que ce soit au niveau des électrolytes ou des électrodes, l’équipe dispose d’une palette de techniques, allant de la diffraction des rayons X, à la microscopie électronique à balayage en passant par l’analyse thermique et les tests électrochimiques.
Une fois les éléments assemblés, elle peut ensuite analyser le cyclage (charge/décharge) et la durée de vie de ces batteries innovantes, constituées de couches d’une épaisseur avoisinant la centaine de microns, empilées les unes sur les autres. « Plus nous empilons de couches, plus nous aurons de la densité d’énergie disponible. Au final, nous pourrons donner à la batterie la dimension souhaitée », précise Laurent Calvez. Cela tombe bien : leurs matériaux sont destinés à des batteries pour des usages mobiles, comme le téléphone portable ou les véhicules.
Les batteries tout-solide ne sont actuellement pas commercialisées. Toutefois, certaines grandes marques automobiles misent actuellement sur ces technologies qui devraient débarquer dans nos quotidiens d’ici quelques années. Leur coût est encore élevé, comparativement aux batteries classiques, et certains freins technologiques demeurent : « Il y a des réactions spécifiques aux interfaces entre les cathodes et les électrolytes qui empêchent progressivement le lithium de passer et restreignent la durée de vie des batteries », détaille le chercheur « Nous travaillons à l’amélioration de ces interfaces ». L’objectif est aussi d’alléger au maximum les matériaux et travailler sur tous les paramètres possibles afin d’augmenter la performance des électrolytes. « Le secteur est hyperconcurrentiel. Umicore nous laisse une grande liberté sur l’innovation », s’enthousiasme Laurent Calvez. « Si nos batteries parviennent à délivrer les capacités théoriques des matériaux qui les composent, elles devraient être trois à quatre fois plus autonomes que les batteries actuelles, et posséder une durée de vie qui pourrait aller jusqu’à 30 ans. »
Les matériaux chalcogènes au cœur de l’innovation
Les éléments chalcogènes (prononcer kalcogènes) sont situés dans la 16e colonne du tableau périodique des éléments chimiques, celle qui contient l’oxygène. Ce sont les propriétés de conductivité, de durabilité et de haute capacité de stockage de l’énergie de ces éléments (notamment le soufre) qui en font de bons candidats pour développer des matériaux innovants, plus respectueux de l’environnement que les matériaux habituellement utilisés dans les batteries.